Une ivresse, la folie. Dans les deux cas c’est une puissante construction mentale
qui va nous projeter dans un autre monde, le monde que nous allons subtiliser au réel
celui qui va devenir plus réel encore que la réalité.
Plus souvent nous y sommes, plus le décalage s’accentue.
Plus on s’y réfugie, plus on a envie d’y rester.
Plus on s’isole, plus on souhaite s’y isoler encore.
Plus on y passe de temps, plus on trouve le réel hostile, dangereux, néfaste.
Mieux on y est, plus le retour sera compliqué.
Le contact avec les autres dès qu’il offre une résistance est perçu comme une agression.
Pour se conforter dans notre monde, toujours de bonnes raisons :
« je ne suis pas à la hauteur » ou « ils ne me comprennent pas », « je n’y arriverai jamais »,
« c’est pas mon domaine », « c’est trop dur », « ça m’est égal ».
Je suis comme un ballon dirigeable qui s’est très lentement séparé du sol.
Au début, à peine au-dessus. C’est sympathique, ce juste au-dessus, encore connecté, puis la distance s’accentue.
Avec un peu d’effroi et de plaisir mélangés, la petite voix intérieure disant :
« super cool, mais attention, tu vas déjà trop haut » et puis l’autre petite voix rajoutant :
« Ouais, mais tu peux aller plus haut, non ? Cap ? Pas cap ? ».
Alors, on continue son ascension toujours connecté au sol par un fil. Un seul.
La petite voix nous dit de tirer sur le fil et de redescendre, on commence à s’agripper, à tirer sur le fil puis l’autre nous dit : « mais qu’est-ce-tu fais ? T’es fou ?
Tu ne vas quand même pas redescendre maintenant ! ».
Elle nous dresse alors la liste d’avantages à rester là-haut. On commence par laisser le fil glisser entre nos doigts
puis on le lâche complétement d’un coup, envahit par un large sourire.
Dans l’euphorie, tellement confiant, on coupe le fil pour être bien sûr de ne plus redescendre. C’est trop bon.
Là, ça se complique. Pas tout de suite bien sûr, l’accélération du ballon vers le haut est tellement jouissive.
Cette ascension, mélange l’excitation et la peur, la petite voix ne parle plus, mais elle chuchote :
« T’es fou, tu vas de planter grave, fais quelque chose ! »
Mais on est trop haut, les turbulences deviennent dangereuses.
Le monde réel devient vraiment hostile cette fois-ci. En fait, il est comme il est, sans intention.
Nous au milieu, juste rien,un détail. Mais on ne peut pas s’en rendre compte puisque on croit que le monde tourne autour de nous. Un peu comme l’humanité a cru longtemps que le soleil tournait autour de la terre.
Il a fallu un pas de côté et une prise de conscience pour comprendre que la terre n’était pas au centre du monde
et du temps pour s’y habituer.
Camus disait qu’il fallait dix ans d’imprégnation pour qu’une idée deviennent vraiment la sienne.
Combien de pas de côté et de prises de consciences ?
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